Entretien avec…
Danielle Toupillier,
médiatrice nationale

Temps de lecture : 6 minutes

Qu’est-ce que les premières médiations révèlent des établissements de santé, des professionnels et de la vie des équipes qui y travaillent ?

Les données recueillies sur la période de préfiguration du dispositif national de médiation (2017-2019) et de médiation depuis 2019, pour sa partie tant nationale que régionale et interrégionale, montrent en 2021 une dominante de conflits de type institutionnel (58 % au niveau régional, 45 % au niveau national), suivis par les médiations qui combinent difficultés institutionnelles et interpersonnelles (10 % au niveau régional, 47 % au niveau national). La part incombant aux litiges interpersonnels représente, quant à elle, la proportion la plus faible au niveau national (32 % au niveau régional, 8 % au niveau national). Elles attestent de la nécessité d’inscrire le management dans une démarche à la fois éclairée (nécessité d’être informés et formés sur la qualité de vie et des relations au travail, sur tous les risques professionnels…), bienveillante (promotion du compagnonnage, tutorat, mentorat…) et responsable (devoir de sécurisation et de protection).

Quels sont les freins, les obstacles et les limites à l’usage de la médiation ?

Les obstacles à lever pour développer les processus de conciliation et de médiation sont d’ordre institutionnel et culturel. Les gouvernances d’établissement hésitent encore à confier des situations individuelles locales à des tiers extérieurs, même s’ils sont neutres, indépendants et respectueux des principes de confidentialité, d’impartialité, de neutralité et d’équité. Une crainte est d’être considérées comme incapables de gérer leurs difficultés institutionnelles et/ou interpersonnelles perçues comme une des missions de la direction, notamment de la direction des ressources humaines et de la direction des affaires médicales selon la catégorie de professionnels concernés. Une autre est d’être repérées par les autorités de l’État comme des structures à problèmes répétitifs et insolubles. La dernière implique la banalisation des phénomènes de conflits en considérant qu’ils sont inhérents à la complexité de l’environnement de travail et peuvent se régler naturellement, ou bien qu’ils font partie de pratiques habituelles sans portée grave. Il existe aussi une forte dimension culturelle car, outre la nécessité de développer chez les responsables et les cadres une capacité individuelle et collective de management participatif et équilibré, la culture de la relation n’a pas encore pénétré bon nombre de nos organisations publiques. Il est donc important de s’inscrire ensemble dans une démarche de respect en apprenant à faire confiance et à être en confiance.

Il faut développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale […]

Pourquoi y a-t-il aussi peu de recours à la médiation pour les personnels de direction ?

Comme beaucoup de catégories professionnelles, notamment celle des jeunes professionnels en formation, les personnels de direction n’échappent pas à la crainte des représailles sur leur évaluation et sur le déroulement de leur parcours professionnel. Par ailleurs, ils hésitent à se retrouver face à un supérieur ou un autre personnel qu’ils considèrent comme maltraitant ou violent.

De même, les directeurs et autres responsables sont souvent réticents à exprimer leurs difficultés d’exercice, car ils ont peur d’être considérés comme des sujets à problème, estiment que leur rôle est de ne rien montrer.

La médiation est-elle compatible avec la relation hiérarchique ?

C’est une très bonne question qui interpelle certains bénéficiaires des dispositifs de médiation. Je pense que la médiation est compatible avec la relation hiérarchique dès lors qu’elle se positionne en parfaite conformité avec les six grands principes dans lesquels s’inscrit son engagement (que nous avons indiqué ci-dessus) et dans le respect de la ligne hiérarchique autant que de la partie qui la met en cause. Il est important de rappeler que le médiateur ou les co-médiateurs disposent d’une liberté totale pour mener à bien leur mission, sans jamais produire de rapport de mission, quelle que soit l’autorité de saisine aux plans national, régional et interrégional.

Quelle place faut-il donner aux organisations syndicales ?

Les organisations syndicales occupent une place importante dans les structures sanitaires, sociales et médico-sociales, comme le démontrent les résultats aux élections professionnelles. Elles ont un rôle majeur à jouer dans le collectif de travail et dans l’accompagnement individuel des situations complexes ou à risques. Si, juridiquement, elles ne sont pas parties prenantes à la saisine de la médiation, certaines opèrent néanmoins auprès des médiations régionales, interrégionales et nationale des signalements de situations jugées à risque particulier. Dès qu’une alerte est lancée, le médiateur régional, interrégional ou national – pour la part qui le concerne – se renseigne sur la nécessité ou non de son intervention, soit sous la forme d’une médiation conventionnelle, soit dans le cadre d’une mission d’appui, de conseil et d’accompagnement qui emprunte les mêmes techniques et principes que la médiation mais de façon moins formelle.

Les médiateurs régionaux peuvent-ils vraiment être neutres et impartiaux ?

Tous les médiateurs, quel que soit leur niveau de rattachement géographique (régional, interrégional ou national), doivent être neutres et impartiaux dans la conduite du processus de médiation. Ils dépendent des agences régionales de santé du lieu siège de la région ou de l’interrégion sur le plan administratif, financier et logistique, mais bénéficient d’une totale indépendance dans l’accomplissement de leur mission. Pour garantir cette neutralité et cette impartialité, deux éléments régulateurs importants méritent d’être signalés :

  • la liberté accordée à tout moment à l’ensemble des parties au conflit, d’entrer, de sortir ou ne pas conclure d’accord de médiation ;
  • le droit de récusation du ou des médiateurs ouvert à l’ensemble des parties au litige si elles estiment que l’un des grands principes qui doit guider l’action du ou des médiateurs est compromis ou bafoué ;
  • la faculté ouverte par la médiation nationale de permettre aux médiations régionales et interrégionales de dépayser certaines affaires sur une autre région ou interrégion pour lever tous les doutes ou les suspicions et engager une médiation dans les meilleures conditions.

Comment agir pour développer l’usage de la médiation et des modes alternatifs de règlement des différends dans les établissements de santé ?

Il est effectivement nécessaire de développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale créés en propre par l’établissement ou mutualisés avec d’autres structures. Il est tout aussi essentiel de prévoir une bonne articulation, avec les processus de médiation qui lui sont associés, en tant que de besoin. Pour soutenir et valoriser une telle démarche, un plan national de communication est prévu à l’automne 2022, en coopération avec la Fédération hospitalière de France, sur la base du repérage de deux établissements pilotes par région pour développer des outils, travailler sur une foire aux questions et proposer des guides destinés à tous les établissements relevant de la fonction publique hospitalière.

Il faut développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale […]

La médiation interne entre les agents et l’administration peut-elle compenser la réduction du dialogue social consacré à la carrière et aux parcours (CAPN) ?

Les processus de conciliation interne et ceux relatifs à la médiation externe n’ont pas vocation à se substituer au dialogue social qui doit être conforté au niveau des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux avec les organisations représentatives des personnels. Comme il a été indiqué précédemment, ces deux dispositifs excluent le champ des conflits sociaux et n’interviennent pas dans les décisions d’ordre statutaire, sauf potentiellement en cas de nécessité pour soutenir et accompagner certains repositionnements professionnels dans le cadre d’un retour d’exercice dans la sérénité.

Faut-il instituer une médiation préalable obligatoire pour les conflits qui vont devant le juge administratif ?

Je ne suis pas sûre qu’une saisine préalable obligatoire soit encore d’actualité. En revanche, nous observons depuis peu une demande régulière de tribunaux, notamment administratifs, de bénéficier des services du dispositif national de médiation pour des affaires concernant des professionnels relevant du champ de la fonction publique hospitalière. C’est une tendance intéressante qui pourrait donner lieu à une modification du décret du 28 août 2019 pour ouvrir réglementairement cette faculté à l’ensemble des tribunaux concernés par les dossiers déposés par des professionnels relevant de nos secteurs d’activité, sans toutefois l’imposer à ce stade.

Avant la médiation, que peut-on faire pour limiter et résoudre les conflits ? La médiation ne compense-t-elle pas les défaillances du management ?

Il faut instaurer dans tous les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux un dispositif en propre ou associé de conciliation locale, préalable indispensable au déclenchement du processus de médiation en tant que de besoin. Cette prise en compte des difficultés relationnelles au plus proche des personnels en situation de conflits s’avère efficace et raisonnable pour les établissements qui l’ont déjà mis en place. Des formations aux politiques de qualité de vie et des relations au travail, à la connaissance des risques professionnels, à leur signalement précoce et à leur traitement rapide ainsi que des actions de promotion d’un management adapté aux besoins, notamment des jeunes générations, seraient certainement une bonne réponse aux attentes des professionnels et de nombreux responsables et cadres.

Il faut développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale […]

La médiation ne saurait compenser les défaillances de management. Je pense au contraire qu’elle a été conçue comme un mécanisme de repérage des zones à risque pour faciliter ou favoriser le retour en sérénité de l’institution et des professionnels concernés dans le cadre d’une relation loyale et confidentielle qui soit respectueuse (respect des règles d’autonomie et de responsabilité des décideurs institutionnels). C’est un processus original et innovant, développé surtout dans le secteur privé, qui confirme que les accords passés entre les acteurs en conflit eux-mêmes, ont plus de chance d’être efficaces et mieux respectés dans la durée. Enfin, la clause de revoyure instituée pour la médiation au profit des personnels de la fonction publique hospitalière, assortie d’une évaluation et d’un suivi de la mise en œuvre du programme d’actions convenu, est une garantie pour les personnels concernés ainsi que pour les gouvernances.

La médiation dans la FPH

Avec la conciliation, la médiation est l’un des deux grands dispositifs de règlement amiable des difficultés relationnelles et des conflits interpersonnels. C’est un processus structuré par lequel deux ou plusieurs parties tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure juridictionnelle, en cas de litige portant une atteinte grave au fonctionnement normal du service. Avant d’être engagée, la médiation doit être précédée d’une tentative de conciliation locale dans les établissements sanitaires sociaux et médico-sociaux, conformément aux dispositions du décret du 28 août 2019. Elle fait intervenir un ou deux médiateurs positionnés comme un ou des tiers neutres à l’égard des parties en conflit pour faciliter la circulation d’informations entre elles et permettre d’éclaircir ou de rétablir leurs relations et les accompagner vers une issue favorable au différend qui les oppose.

La médiation est un dispositif de règlement à l’amiable des différends entre les professionnels des établissements relevant de la fonction publique hospitalière. Elle concerne tous les professionnels médicaux (y compris les internes et étudiants en médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique) et non médicaux (toutes filières, y compris les étudiants et élèves des filières paramédicales). Elle s’intéresse à tous les types de difficultés relationnelles et aux conflits interpersonnels. Toutefois, elle exclut les conflits sociaux, les différends relevant des instances représentatives du personnel, ou faisant l’objet d’une saisine du Défenseur des droits, d’une procédure disciplinaire ou d’insuffisance professionnelle. Elle ne peut être activée non plus en cas de différends relatifs à des décisions prises après avis du comité médical ou d’une commission de réforme. De même, elle ne concerne pas les conflits entre professionnels ou institutions et les usagers ou leurs représentants.

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