Pourquoi un dispositif de conciliation et pour quoi faire ? Quelle différence avec la médiation ?
Il manquait l’échelon de la conciliation dans le dispositif. Dès qu’il y aura une continuité entre les niveaux local, régional et national, le dispositif pourra jouer pleinement son rôle. Il est aussi essentiel que la conciliation existe en termes de management, car c’est une de ses dimensions fondamentales. Si on sous-traite cela, c’est une démission.
Médiation et conciliation ne sont pas la même chose. La différence principale, c’est que le médiateur doit être totalement indépendant des parties, y compris de la direction. C’est pourquoi les médiateurs régionaux sont extérieurs et n’ont rien à voir avec l’établissement. Le médiateur ne propose aucune solution car celles-ci doivent venir des parties. La conciliation, en revanche, ne requiert pas l’indépendance puisqu’il s’agit de personnels de l’hôpital ; par ailleurs, la conciliation peut proposer des solutions. Ce qui marche le mieux, c’est la conciliation par les pairs. Il vaut mieux que des médecins soient présents quand il s’agit d’un conflit entre médecins, car ils connaissent les métiers. C’est pourquoi le rapport préconise de former des viviers de conciliateurs volontaires qui ont une certaine expérience de l’hôpital et qui seront formés spécifiquement.
Quels sont les freins et les limites de la conciliation ?
Ce qui fait obstacle à la conciliation, c’est lorsqu’un conflit dépasse ou déborde du cadre du service et que le chef de service, le manager, considère cela comme un échec grave et insupportable. Il ressent souvent un œil extérieur comme la remise en cause de ses propres compétences. Cela doit aussi faire partie de la formation. Le meilleur des managers peut rencontrer des situations qu’il n’arrive pas à gérer. Ce type d’échec fait partie de la vie professionnelle. Personne n’est tout-puissant. Les managers doivent accepter la possible présence d’un regard extérieur et de méthodes codifiées qui puissent traiter les situations difficiles à gérer. Cela est vécu par de nombreux chefs comme une blessure personnelle.
La méthode prônée par la note soulève plusieurs questions concernant le recueil des signalements préconisé et qui pourrait être confondu avec le dispositif de signalement des violences rendu obligatoire par le décret 2020-256 du 13 mars 2020 et les « agents formés à la conciliation » désignés par le texte. Quelle place faut-il donner aux organisations syndicales dans ce dispositif ?
La préconisation du rapport est celle d’une forme unique de signalement, quel que soit le type de souffrance au travail, pour ne pas multiplier les types de signalement. Le seul critère à retenir, c’est la souffrance au travail avec un seul système de recueil. Ensuite, on oriente selon la nature de ce signalement. Il peut s’agir d’un conflit interpersonnel qui peut donner lieu à conciliation, mais aussi de toute autre forme nécessitant un traitement différent qui relève du pénal, d’un problème d’organisation du travail qu’il faut prendre en compte comme tel, ou d’un problème médical qu’il faut traiter médicalement. Le signalement de départ doit être indifférencié.
Il faut développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale […]
C’est dans un second temps que des personnes spécifiquement formées doivent orienter le signalement vers la filière de traitement adaptée. L’expérience de l’Observatoire de la souffrance au travail (Osat) mis en place en 2017 par le syndicat Action Praticiens Hôpital (APH) sous l’impulsion du Dr Max Doppia a montré que lorsqu’une personne est en situation de souffrance, elle n’est pas toujours objective sur la nature de cette souffrance et voit du harcèlement là où il n’y en a pas forcément. Ce qui est essentiel, c’est l’écoute et la prise en compte de cette souffrance ressentie qui s’exprime par des émotions, souvent à l’oral plutôt qu’à l’écrit. La conciliation n’est qu’un des modes de traitement de cette souffrance en fonction de la nature du signalement.
La place des organisations syndicales est plutôt celles des syndicalistes qui gèrent eux aussi des situations de souffrance au travail. Les syndicalistes ont leur place dans ce type de situation pour accompagner les personnes.
N’y a-t-il pas de risque que les conciliateurs soient influencés par des a priori et des principes ?
C’est pour cela qu’ils doivent être formés spécifiquement à la gestion des signalements de souffrance et à la conciliation, afin de prendre la distance indispensable. Il faut aussi certainement des personnes qui ne sont pas trop ou plus impliquées dans la hiérarchie afin de ne pas se trouver dans des situations où les intérêts de l’établissement sont en contradiction avec ceux de l’individu. Si la conciliation échoue, il est alors possible de faire appel à la médiation.
Le cadre statutaire et hiérarchique fait-il obstacle à l’expression du désaccord et à un exercice du management d’équipe par un autre mode que hiérarchique ?
Non, le critère pertinent est plutôt la formation. Si la façon autoritaire domine, c’est que la formation est insuffisante et laisse toute la place à un mode de fonctionnement archaïque très vertical. La formation n’est pas anecdotique mais essentielle, alors qu’elle vient aujourd’hui comme une couche superficielle. Le management d’équipe s’apprend et s’exerce.
Les étudiants n’apprennent pas à travailler ensemble sur la base de règles simples comme le respect qui leur est dû et celui qu’ils doivent. Tous ces éléments pour apprendre à travailler ensemble devraient être enseignés à tous les étudiants en santé dès le premier cycle.
Il faut développer l’usage des modes alternatifs de règlement des difficultés relationnelles pour trouver au plus tôt des solutions durables aux conflits révélés, en privilégiant les dispositifs internes de conciliation locale […]
La deuxième chose, c’est la formation des équipes d’encadrement, cadres, chefs, car, aujourd’hui, être chef, c’est être celui qui décide dans une structure très hiérarchique. Il faut former tous les professionnels qui sont amenés à gérer une équipe de façon à promouvoir un management bienveillant. Écouter, faire des compromis, faire en sorte que chacun trouve sa place, gérer les conflits, cela s’apprend. La gestion des conflits est un élément de base du management.
Que peut-on faire pour limiter et résoudre les conflits ? Qu’est-ce qu’un management « éclairé, bienveillant et responsable » tel qu’il est préconisé ?
La formation est encore la réponse essentielle. Si les chefs de service étaient formés à repérer les signes de conflit, sans doute y en aurait-il moins. Le management bienveillant, ce ne sont que des mots, et seules des techniques éprouvées, enseignées et exercées sont des réponses de management.
Dès le premier cycle, il faut apprendre aux étudiants en santé que coopérer doit aller de soi, car on est obligé de travailler au quotidien avec les autres. Si nous n’apprenons pas à travailler en équipe, les conflits sont inévitables. C’est le fonctionnement au quotidien qu’il faut déminer car c’est lui qui est cause de souffrance.
Lorsqu’on a la responsabilité d’une équipe, d’un établissement, il est possible de rencontrer des échecs qui ne doivent pas être vécus comme insupportables. La gestion des conflits, c’est apprendre à gérer des échecs, et à en sortir. Elle est essentielle pour que l’hôpital public aille mieux au quotidien.
Décret n° 2019-897 du 28 août 2019
Le décret n° 2019-897 du 28 août 2019 instituant la médiation visant la résolution de conflits interpersonnels pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux prévoit que toute saisine du médiateur doit être précédée d’une étape de conciliation. Dès lors, la saisine des médiateurs régionaux est conditionnée par la mise en place d’une conciliation au niveau local.
Par ailleurs la loi n°2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification prévoit l’obligation, pour la gouvernance des établissements publics de santé, de mettre en place des mesures de gestion des difficultés interpersonnelles et des conflits pour pouvoir être certifiés. Cette obligation a donné lieu à une note d’information DGOS du 29 mars 2022 qui émet des recommandations pour la mise en place des dispositifs de conciliation locale. On y trouve essentiellement les conclusions de la mission qui a été confiée à Jacques Trévidic pour établir un état des lieux des structures déjà existantes.
Cette mission s’étend au déploiement de dispositifs de conciliation locale au sein des établissements publics qu’il est chargé d’accompagner. Pour mieux comprendre le contenu de ces recommandations, nous lui avons posé plusieurs questions touchant les principes fondant le rôle de la conciliation, la méthode de signalement retenue par la note ministérielle, l’avenir des modes alternatifs de règlement des différends dans les établissements de la FHP et les leviers de prévention des conflits dans ces mêmes établissements.