L’édito – Mai / Juin 2022

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Tandis que l’Europe reste plongée dans une guerre qui dure, notre pays est rentré dans un tunnel électoral dont on ne verra le bout qu’avec le deuxième tour des élections législatives. La nomination d’une Première ministre et d’un gouvernement, suspendus au résultat de l’élection d’une majorité parlementaire, laisse la décision publique atone. Pourtant, les urgences se télescopent avec une situation économique inquiétante, la survenue d’une inflation durable que la majorité des actifs n’a jamais connue et des difficultés en cascade dans les services publics, dont celui de la santé.

A ce titre, les déboires des concours de recrutement des professeurs des écoles, particulièrement en Ile de France avec une académie dans laquelle on compte trois postes à pourvoir pour un admissible, soulignent la crise de l’attractivité de certains métiers. De nombreux autres domaines d’activité témoignent de problèmes de recrutement. Beaucoup d’employeurs privés et publics découvrent effarés ce retournement de tendance parfois brutal.

Cette illustration spectaculaire résonne dans les secteurs d’activité du sanitaire, du médico-social et du social. On assiste à un effet de bascule saisissant avec des expressions entendues aux débuts de la crise sanitaire, mêlant reconnaissance des soignants dans l’opinion et fierté des professionnels d’avoir fait face, même dans des conditions très difficiles, que ce soit dans les hôpitaux ou dans les établissements médico-sociaux. Aujourd’hui, les représentations qui dominent nos secteurs sont les reculs ou même le délabrement du service au public et de ses établissements, le désenchantement ou même la fuite de ses agents.

Le SYNCASS-CFDT, avec d’autres, avait alerté depuis des années sur les effets délétères des politiques publiques de rabot des financements tant sur le volet sanitaire que dans le médico-social. La capacité de résilience du système, tant vantée au début de la crise, montre pourtant ses limites. Le manque de moyens a contraint les acteurs à des efforts d’efficience qui ont fini par porter atteinte au sens des missions. Notre système de santé est miné de l’intérieur par des contradictions persistantes : financements socialisés et opérateurs à but lucratif ; liberté d’installation pour tous mais permanence des soins pour certains seulement et inégalités d’accès aux soins ; exigences de productivité et aspirations à des conditions de travail conciliables notamment avec les rythmes sociaux et familiaux de la majorité de la population et sous rémunération des sujétions lourdes inhérentes aux métiers du soins.

Comme le SYNCASS-CFDT l’a déjà souligné, l’inflexion de trajectoire pourtant réelle des ONDAM depuis 2020 et du Ségur de la santé ne produit pas l’élan, ou même l’apaisement espérés. L’été s’annonce très difficile dans de nombreux territoires et les expédients se multiplient pour tenter de préserver l’essentiel. La définition même de l’essentiel fait polémique comme le montre le débat très rude entre le maintien des lignes de permanence des SMUR et l’ouverture de certains SAU. Mission flash sur les urgences, « conférence des parties prenantes » sur la santé, toujours les mêmes outils éculés sans annonces concrètes qui ne peuvent rassurer. Au niveau territorial, l’attitude de conseils départementaux qui continuent comme dans le « monde d’avant » à décider des tarifs d’hébergement sans rapport avec l’évolution des charges relativise le discours sur le bon sens des élus « de terrain » dont certains réclament sans discernement la maîtrise totale du pilotage.

Pour un syndicat qui a fait des conditions de travail un volet essentiel de son action, le défi à relever est considérable car c’est là que se cristallisent les tensions les plus fortes. La pénurie d’effectifs de professionnels et l’affaiblissement des collectifs de travail engagent une spirale négative redoutable et il est crucial d’identifier les leviers qui permettraient d’en sortir. Donner de la visibilité sur un desserrement de la contrainte financière est un point clé. Il permet de projeter les investissements nécessaires et de les négocier avec de réelles marges de manœuvre : sur les qualifications et les effectifs ; sur la promotion professionnelle ; sur les conditions d’exercice et l’environnement de travail. Il faudra que ce message clair soit émis au plus haut niveau, et poursuivi sur la durée.

Mais cela n’ira pas sans une prise de conscience citoyenne sur la régulation des installations médicales et le partage équitable de la contrainte et des sujétions entre tous les acteurs du soin et du social. La qualité du management et le respect des droits des agents sont des exigences que nous portons mais elle se heurte à la multiplication historique des facteurs exogènes dont les effets sont subis de plein fouet par toutes les équipes sur le terrain, y compris les directions et l’encadrement.

Les possibilités heureusement offertes par la négociation d’accords collectifs majoritaires sont réellement saisies par les acteurs dont les directeurs, dès lors qu’elles sont accompagnées par les enveloppes du Ségur. Mais sans marge de manœuvre la question reste entière…Si les partenaires sociaux des deux côtés de la table ont bien le choix de la manière de faire, notamment par les nouveaux leviers du dialogue social que l’on doit à la CFDT, ils sont tous plongés dans les mêmes difficultés qui par définition ne dépendent pas de leurs seules bonnes volontés. Il ne faut jamais se tromper de cible, le sujet est systémique et dépend largement d’options politiques radicales, pas des seules directions !

Ces perspectives devront aussi se conjuguer avec la planification écologique qui désormais fait consensus, au moins sémantique, pour une large majorité de la représentation politique. Nos activités sont pleinement concernées. Gageons que la prise en compte de cet impératif participe de la revivification positive du cadre des prises en charge que nous assurons. Le pacte du pouvoir de vivre de la CFDT le promeut avec pragmatisme.

Le SYNCASS-CFDT s’apprête à participer au congrès de sa confédération du 13 au 17 juin. La newsletter rendra compte de ce temps fort de la vie de l’organisation. La vigueur du collectif et la richesse des points de vue de toutes les composantes de la CFDT seront bienvenues pour tracer les perspectives des quatre années à venir. Nous en sommes fiers !