L’actualité récente de mises en cause par voie de presse de plusieurs collègues dans leur exercice professionnel nous amène à souligner l’évolution de nos conditions et de nos contextes d’exercices.
La lutte contre les violences faites aux femmes a modifié la politique pénale dans le sens de la fermeté envers des comportements qui n’étaient pas signalés ou non poursuivis il y a encore quelques années. C’est une avancée d’équité et de justice qui rencontre un combat syndical, nous ne pouvons que la saluer.
Des situations délétères de management font également l’objet de signalements, certains étant portés par les collègues à la connaissance du SYNCASS-CFDT. Ces affaires doivent être instruites, y compris par la conduite d’enquêtes administratives. Pour autant, nous ne pouvons pas accepter que le recours préférentiel désormais admis, pour contester une décision individuelle, l’évolution d’organisations de travail ou des mesures d’économies nécessaires à la bonne gestion d’un établissement, soit l’accusation de harcèlement.
Cette tendance préoccupante tient dans la façon dont les procédures judiciaires sont mobilisées par certains professionnels en opposition ou en désaccord. Les décisions individuelles font grief pour la majeure partie d’entre elles et à ce titre peuvent être déférées devant le juge administratif par les agents concernés. Une évolution est ainsi observée dans un nombre croissant de procédures : ce n’est plus la décision administrative qui est attaquée car illégale, ou objet d’une erreur manifeste d’appréciation ; c’est l’autorité qui a la responsabilité de cette décision qui est attaquée au pénal, la décision incriminée étant l’une des manifestations de harcèlement réel ou supposé.
Les fonctions de chef d’établissement sont exposées juridiquement. Nous le savons et l’acceptons. La représentation légale de l’établissement, corollaire de l’autonomie de gestion, implique de multiples domaines décisionnels sur lesquels la responsabilité peut être engagée : administrative, pénale, financière. Cet ensemble constitue l’un des éléments pivots de notre état de droit.
Sécuriser l’action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit, Rapport de Christian VIGOUROUX
Une préoccupation de l’Etat à décliner dans la FPHCe rapport publié en mars dernier à la demande du Premier ministre aborde les questions d’exposition juridique des responsables publics, en particulier pénale. Centré sur les élus locaux et les agents de l’Etat, il pose un diagnostic sur la juridicisation de l’action publique et propose des adaptations du droit et des mesures de prévention de ce phénomène, avec pour objectif de préserver la latitude d’action des responsables.
Nombre de propositions, par exemple une définition plus fine de la prise illégale d’intérêt et du délit de favoritisme ou sur l’articulation entre réparation civile et réparation pénale, sont intéressantes à examiner dans le champ des établissements de la fonction publique hospitalière. Il en est de même des propositions de nature à mieux prévenir le risque pénal.
Le SYNCASS-CFDT estime que c’est un chantier à ouvrir sans délai pour les directeurs de la FPH. |
Différentes situations de chefs d’établissement DH ont été récemment exposées dans la presse : fin de détachement sur emploi fonctionnel, mise en examen, placement sous contrôle judiciaire… Ces affaires médiatisées nous rappellent que les trois corps de directions de la FPH peuvent connaître ces situations à des degrés divers. Ainsi, les D3S sont très exposés à des pressions, voire à l’arbitraire d’élus locaux ou de délégués territoriaux d’ARS. Autre exemple, la condamnation d’un chef d’établissement suite à une faute commise par une aide-soignante ayant entrainé le décès d’un résident en 2024 inquiète fortement sur la portée de la responsabilité personnelle du chef d’établissement.
Le traitement journalistique d’événements mettant en cause les directeurs peut soulever interrogations et critiques. Pour autant, le SYNCASS-CFDT estime que le cadre légal de la liberté de la presse ne doit pas être remis en cause car il s’agit d’un autre principe fondamental de nos sociétés démocratiques. La même ligne de conduite doit être tenue par rapport aux réseaux sociaux, sans oublier néanmoins que la présomption d’innocence est un principe à valeur constitutionnelle.
Il faut en revanche que chaque collègue puisse se défendre de façon optimale à raison de ses fonctions comme le rappelle la circulaire interministérielle n° DGOS/RH4/DGCS/DGAFP/2024/3 du 29 mai 2024 relative à la protection fonctionnelle des personnels des établissements de la fonction publique hospitalière.
Le droit à la protection fonctionnelle a été consacré comme principe général du droit par le Conseil d’État dès 1963. Son application doit se concevoir dans toutes ses dimensions. A l’organisation du soutien et de l’accompagnement, y compris psychologique, doit s’ajouter la protection par l’ARS de la réputation du directeur mis en cause. Cela peut passer par un communiqué, une intervention dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour rétablir la vérité lorsque cela s’avère nécessaire. Au-delà de la personne du directeur concerné, il est en effet primordial de limiter les risques d’atteinte de l’établissement et des usagers qu’il prend en charge, afin de garantir la continuité du service public et de prévenir l’atteinte à sa réputation auprès de la population.
Moins d’un an après la publication de cette circulaire, annoncée à grand bruit lors du salon SANTEXPO, nous faisons le constat que les ARS en appliquent fréquemment une vision trop restrictive. Outre l’exclusion de la responsabilité financière de son champ, elles limitent les prises en charge à un accompagnement purement financier lors d’une procédure pénale, oubliant que la protection fonctionnelle ne se limite pas à un engagement de crédits (qui d’ailleurs est à la charge de l’établissement employeur) mais inclut également une mission d’appui moral et de communication.
L’octroi de la protection fonctionnelle, actuellement confié aux ARS pour les DH et les D3S, peut placer ces dernières dans des situations inconfortables et donne lieu à des attitudes contrastées selon les agences. Les ARS sont juges puisque dans le cadre de l’instruction de la demande, elles apprécient les faits. Mais elles sont également parties puisqu’elles étudient incidemment le risque pour elles-mêmes, sont chargées de diligenter des enquêtes, ont leur propre appréciation de la situation, basée sur des relations de travail établies mais aussi parfois des consignes. Leur jugement peut donc être altéré par des éléments extérieurs. Le SYNCASS-CFDT réaffirme sa demande, formulée dans sa précédente résolution de congrès, que le CNG, garant de la gestion nationale et de l’égalité de traitement des collègues sur tout le territoire, soit désormais seul décisionnaire en la matière.
Pour autant, les organisations syndicales, dont la CFDT, n’ont jamais souhaité la fin des ARS, contrairement à certains élus. Nous pouvons comprendre les pressions qui s’exercent aussi sur les directeurs généraux d’ARS, mais il est de notre devoir de rappeler que les moyens dont ils disposent vis-à-vis des directeurs (fin de détachement sur emploi fonctionnel, non renouvellement de ce détachement, décision de création d’une direction commune plus ou moins acceptée…) sont lourdes de conséquences pour la carrière, voire pour l’équilibre personnel des directeurs concernés.
Il est donc légitime de pouvoir les alerter et d’échanger en amont, chaque fois que possible, pour défendre nos collègues et ainsi poser les bases d’un dialogue contradictoire. C’est pourquoi nous demandons la reprise des réunions du « groupe contact » ARS-organisations syndicales, sous la responsabilité d’animation du CNG, à la fréquence de trois à quatre occurrences par an. Cela permettrait d’aborder des situations individuelles en cours ou à venir, de partager des informations, d’évaluer des remontées de terrain, de confronter nos approches en faisant entendre la voix des collègues. Cette démarche syndicale n’a pas la même portée au niveau local, ces derniers pouvant se sentir « bâillonnés » par leur situation personnelle, qui les fait dépendre de leur ARS et rend leur expression syndicale contrainte voire impossible.
Il faut enfin élaborer avec le CNG des principes de suivi des directeurs mis en cause lors d’une procédure judiciaire ou disciplinaire afin de leur garantir un accompagnement respectueux, que ce soit lors de l’attente d’un jugement, d’une reprise de fonctions après une suspension à titre conservatoire ou d’une sanction disciplinaire. Le SYNCASS-CFDT a proposé aux autres organisations syndicales de conduire une réflexion commune pour assurer le meilleur traitement possible à ces situations.