L’édito – Mars / Avril 2022

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La guerre a surgi sur notre continent avec une brutalité à laquelle nous étions bien peu préparés. Les images des bombardements des villes ukrainiennes, y compris d’hôpitaux, celles des réfugiés fuyant leur pays par millions plongent nos générations dans l’effarement. Les réactions de l’Europe donnent paradoxalement le sentiment que l’évènement réveille les consciences sur le sens profond de l’Union. Mais les années 20 de notre siècle commencent par une série d’évènements qui brouillent tous les repères, bousculent toutes les certitudes, et nourrissent toutes les inquiétudes.

À cet égard, et dans le débat en cours sur les élections présidentielles, le financement des services publics est sur la sellette. Nous avons dit que nos secteurs du sanitaire du médico-social et du social avaient subi des restrictions de financement délétères durant plus d’une décennie. Mais d’autres services publics sont mal en point : la justice par exemple connaît une crise qui n’est pas sans points communs avec nos réalités, avec des professionnels qui s’épuisent à répondre à des besoins sociaux croissants. Et voilà que la défense devient soudain, elle aussi, une priorité majeure de la période qui vient. La loi de programmation militaire de 2018 avait prévu une augmentation de moyens qui apparaît dépassée par les urgences du moment. Cet empilement de priorités donne le vertige. Les deux années « d’argent magique » de la pandémie ont accru la confusion sur les questions de leur financement. A 10 ans de politique de limitation des dépenses publiques au nom de la compétitivité de l’économie a succédé une fuite en avant que les échéances électorales de 2022 ont accru. Les tensions inflationnistes déjà présentes avant même la guerre en Ukraine s’accroissent dans des proportions inconnues depuis 25 ans, brouillant encore un peu plus l’horizon.

L’autre combat reste celui mené contre l’épidémie du COVID 19. Malgré la décrue du nombre de patients en soins critiques, ce sont encore près d’un tiers des capacités en réanimation qui sont occupées par des patients atteints. La levée de la plupart des mesures de prévention, notamment le port du masque en intérieur, alimente une nouvelle fois les critiques d’un pilotage de la crise plus politique que sanitaire.

C’est dans ce moment particulier que le Pr CHAUVIN, lors du « grand oral de la santé » organisé par la FHF le 17 mars, remet au gouvernement son rapport « dessiner la santé publique de demain ». Il pointe notamment les retards de notre pays dans la généralisation d’une culture de prévention qui rende acceptable des mesures proportionnées aux risques. Il souligne l’importance des inégalités en santé, moins imputables au système de soins lui-même qu’à des déterminants économiques et sociaux qui interrogent toutes les politiques publiques. Autre retard, qui traduit d’ailleurs ces inégalités, l’espérance de vie en bonne santé qui concerne moins d’un français sur deux à l’âge de 65 ans. Cet indicateur qui nous classe défavorablement parmi les pays européens prend un relief particulier à l’heure où certains s’engagent à augmenter l’âge légal de départ en retraite.

Le lien s’impose avec le défi des politiques du grand âge. Dans les suites du scandale ORPEA, le gouvernement saisit la justice sur la base du rapport IGF-IGAS qui lui a été remis, et que nous ne pourrons pas lire. Le secret des affaires est invoqué. Que cette notion fumeuse, résultat d’un lobbying intense depuis des années, puisse faire obstacle à l’intérêt général est intolérable. L’argument que le rapport constitue une pièce de l’instruction à venir interroge aussi. Le plan de contrôle de l’ensemble des EHPAD annoncé début mars est-il crédible au regard de l’entreprise de délégitimation des contrôles à laquelle nous avons assisté depuis des années, traduite par des coupes dans les effectifs des services chargés de les effectuer ? Par ailleurs cette vague d’inspections noie le poisson en détournant le regard des pratiques délétères spécifiques au secteur privé lucratif. Il va cependant falloir également s’attaquer aux causes structurelles de la montée en puissance des opérateurs privés à but lucratif dans la création des capacités en EHPAD depuis 20 ans. Elle résulte en grande partie de la nécessité de mobiliser des capitaux nécessaires à la construction de places qu’aucune collectivité publique ne voulait plus assumer. Que va-t-on promouvoir dans les prochaines années alors que le défi démographique est tel que le virage domiciliaire ne pourra pas absorber tous les besoins d’hébergement ?

Ce mois de mars a vu aussi la commémoration des 20 ans de la loi du 2 mars 2002 avec ses avancées sur la démocratie sanitaire et les droits des patients. Il est utile de mesurer le chemin parcouru dans la prise en considération des droits tant individuels que collectifs des patients. Il faut aussi prendre la mesure de celui qui reste à accomplir tant la gestion de la crise sanitaire, notamment dans sa première phase, s’est accompagnée de la marginalisation des représentants des usagers du système de santé.

Le débat public a découvert ces deux dernières années que la France payait mal les métiers du soin et de l’accompagnement. Le Ségur a entamé un mouvement de rattrapage nécessaire mais dont on discerne les limites. Dans le contexte inflationniste déjà cité, la politique salariale appliquée à la fonction publique est à la croisée des chemins. En miroir de l’annonce encore imprécise du dégel du point de la fonction publique, des pistes de refondation du modèle de rémunération des agents publics sont abordées dans le compte rendu de la conférence salariale de la fonction publique proposée en lien dans cette newsletter. De nouvelles approches encore en gestation sur la combinaison entre des garanties socles et des éléments variables de rémunération sont abordées. Ces réflexions sont utiles pour améliorer sur le moyen terme l’attractivité de la fonction publique. En regard, la réaffirmation du cadre statutaire articulé avec la négociation entre l’Etat et les représentants syndicaux est une référence indispensable.

L’ensemble de ces thèmes devrait traverser la campagne présidentielle en cours. Le contexte, quand ce n’est pas la tactique de certains candidats, produit l’impression de débats trop largement escamotés. Il faut saluer les efforts de nombreuses composantes de la société civile, dont notre confédération, pour organiser la confrontation des points de vue. Dans cet esprit de lutte contre la fatigue démocratique si sensible, le SYNCASS-CFDT appelle ses adhérents et ses sympathisants à participer aux scrutins des prochaines semaines.