L’édito – Octobre 2021

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L’un des traits de la période étrange que nous traversons depuis près de deux ans est la suspension de formes de vie collective à laquelle nous avons dû nous résigner. Le congrès du SYNCASS-CFDT le 23 et 24 septembre a permis de renouer avec le plaisir simple de se retrouver pour un moment à la fois studieux et convivial. Les 250 adhérents participants ont pu revenir sur le sens des actions de la période : ce fut notamment le cas avec la conférence repère sur l’éthique, durant laquelle chacun pouvait se replonger dans les moments les plus tourmentés, notamment de la première vague de l’épidémie. Ce temps d’introspection collective est apparu salutaire, convoquant les doutes, la gravité et aussi la fierté d’avoir affronté des situations exceptionnelles en s’efforçant de préserver l’essentiel, les missions du service public hospitalier, l’accompagnement permis par les établissements médico-sociaux publics et les valeurs qu’ils portent, que nous défendons.

Le congrès a permis de se projeter dans la période qui vient, soutenu par un message fort de la Secrétaire générale de la CFDT Santé-Sociaux. Invité par la secrétaire générale adjointe de la CFDT, Marylise Léon, à « résister à l’hystérie du début de la campagne présidentielle », le SYNCASS-CFDT continue à creuser son sillon : approfondir ses positions et ses propositions, identifier les nouveaux leviers d’action à mobilier, comme la négociation dans la fonction publique ou la représentation collective des cadres de direction du secteur privé. Le SYNCASS-CFDT a pu le faire en s’appuyant sur la force de la confédération à laquelle il appartient : des responsables et des militants de la CFDT Cadres, de la CFDT Fonction publique ou d’autres fédérations ont prêté leur concours aux échanges et enrichi les points de vue. Le sens du débat et du collectif a pu ainsi être revivifié.

C’était d’autant plus nécessaire que l’actualité de nos secteurs professionnels a fourni de multiples motifs de tensions depuis l’été. Avec la décision de recourir au « passe sanitaire » et à l’obligation vaccinale des personnels, une nouvelle phase de la lutte contre l’épidémie s’est ouverte. Elle se poursuit avec la possibilité d’y recourir jusqu’en juillet 2022. À ce niveau, on assiste à un paradoxe : les décisions de cet été ont permis une couverture vaccinale très majoritaire. Avec le recul, c’est une performance remarquable pour un pays rentré dans cette stratégie à reculons, après des années de scepticisme vaccinal croissant. La couverture vaccinale contre la COVID 19 reste pourtant incomplète. Des suspensions sont en cours parmi les personnels de la FPH et chez des soignants, certes très minoritaires, mais qui comptent et dont le manque coûte aux équipes. Ces refus, malgré les efforts d’écoute et de conviction des directeurs, dont les DRH et les DS ainsi que les services de santé au travail, sont très perturbants : comment expliquer que des agents mettent un point d’honneur à se poser en « résistants » de la campagne vaccinale ? C’est bien une défiance profonde vis-à-vis de la parole publique et des institutions que cela révèle, à commencer par celle dont ils sont les salariés. Dans les territoires ultra marins, cela a pris des proportions bien plus graves. En quelques semaines d’été, les Antilles ont connu une vague de décès due à la COVID 19 sans précédent qui a véritablement submergé le système de soins, notamment des hôpitaux, que seul un confinement drastique est parvenu à enrayer. Cet épisode tragique met à nu une société déchirée, dans laquelle l’Etat alterne entre manifestations de fermeté parfois martiales et renoncements à appliquer la loi. Cela nous interroge grandement sur la séparation des pouvoirs dans notre République…

Dans les établissements sociaux et médico-sociaux (en particulier dans le champ du handicap), l’attractivité des mesures du Ségur peine à se concrétiser. Des efforts réels pour les rémunérations ont été actés. Mais l’application partielle des mesures, par une approche, jamais vue jusqu’ici, appliquant le complément de traitement indiciaire aux agents selon leur secteur d’activité et le statut juridique de leur établissement a créé des iniquités incompréhensibles et inexplicables… sauf à envisager de démanteler notre versant de la fonction publique. Certaines catégories de personnels et certains établissements du secteur social restent toujours exclus du champ d’attribution du CTI.

Il est à ce jour quasiment impossible de recruter des infirmiers ou aides-soignants dans certains territoires. La continuité des activités est menacée. Depuis l’été, nombreux sont les chefs d’établissements qui ont dû alerter les ARS sur une absence totale de personnel infirmier pour compenser les départs, voire tout simplement l’absentéisme, au détriment de la qualité des prises en charge délivrées, les infirmiers préférant aller travailler dans des centres de vaccination ou des laboratoires qui proposent de meilleures rémunérations et conditions d’exercice. Tout cela ne contribue pas à calmer les tensions dans les établissements, alors que personnels et personnes accompagnées aspirent maintenant à plus de sérénité.

Les phases aigües de la COVID 19 n’auront donc-t-elles rien appris à tous nos responsables politiques ? Il est sûr que le morcellement des avancées réelles du Ségur de la santé entre public et privé, entre sanitaire et médico-social, entre catégories professionnelles elles-mêmes, excluant le handicap et le social de toute ou partie des mesures salariales sèmera encore de nombreuses turbulences dont tous se seraient bien passé. Il en est pour exemples le conflit durable à l’EFS dont les personnels réclament à juste titre l’application des avancées du Ségur de la santé à tous les personnels pour enrayer la fuite de leurs effectifs et les effets collatéraux des travaux en cours pour les sages-femmes de la FPH pour un statut revalorisé. Si leur mobilisation est légitime, elle conduit dans certaines régions à des fermetures de maternités privées à très forte activité, dont les sage-femmes en grève se sont soustraites aux réquisitions en bonne et due forme… imposant au service public déjà exsangue d’accueillir toutes les parturientes, voire les transferts de jeunes accouchées… et alors que les responsables des établissements qui ferment leurs maternités réclament les dotations populationnelles à égalité avec le service public…

Au-delà, le service public hospitalier pour bien cohabiter avec le secteur privé, dans une réponse articulée aux besoins de santé, impose un régime d’autorisations des activités qui inclue nécessairement les obligations de continuité et de permanence des soins.

L’actualité se focalise aussi sur les manques de personnels qualifiés des établissements publics de santé. Les dispositions de la loi Rist visant à faire respecter les plafonds règlementaires de rémunération des médecins ont révélé l’extrême fragilité d’activités pourtant jugées critiques. Les adhérents du SYNCASS-CFDT ont participé à la mise en évidence des difficultés extrêmes auxquelles les équipes médicales et soignantes et les responsables d’établissement doivent faire face dans de nombreux territoires. Ce ne sont plus seulement les zones enclavées et le fonctionnement d’établissements maintenu vaille que vaille depuis des années qui sont touchés.

La suspension de l’application de la loi Rist était la moins mauvaise des solutions à court terme pour limiter les dégâts sur l’offre de soins. Mais là aussi, en démocratie, que l’exécutif dise simplement par courrier du Ministre des solidarités et de la santé aux acteurs concernés que la loi est reportée et non applicable entame nos fondamentaux républicains. Le pragmatisme est nécessaire au moment de légiférer, pas après ! Restaurer à court terme une régulation du système de l’intérim et du mercenariat est indispensable. Mais il est surtout impératif de rétablir la primauté d’équipes médicales stables : qu’il s’agisse de la qualité des soins prodigués en coordination avec les équipes paramédicales, de l’évolution et de l’adaptation des prises en charge, du compagnonnage bien réparti dans les territoires des étudiants et internes en formation, tous ces fondamentaux du service public hospitalier reposent sur l’engagement de médecins à temps plein. Ce cadre qui, rappelons-le, a fondé l’hôpital moderne doit amener à réinterroger la liberté d’installation et les dépassements d’honoraires : c’est un des enjeux citoyens de la période. Notre système de santé a besoin de bien plus que du rafistolage et de rustines pour se ressourcer.

Souhaitons vraiment que les débats de l’élection présidentielle se soucient des problèmes de fond et mettent à jour la grande confusion dans lequel s’enfonce le système de santé. Le SYNCASS-CFDT y contribuera avec constance et conviction.