La séquence politique ouverte par la formation du nouveau gouvernement est sans surprise dominée par la discussion au Parlement du budget de l’Etat et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. L’engagement du gouvernement de ne pas utiliser l’article 49 alinéa 3 de la constitution pour adopter le budget et le PLFSS redonne aux assemblées la prérogative essentielle qui a fondé historiquement les régimes parlementaires : déterminer à travers les impôts (et par extension les cotisations sociales) la contribution de chacun au fonctionnement des services publics. Nous pouvons nous en féliciter.
Pourtant, cet exercice démocratique, inédit sous cette forme depuis le début de la cinquième République, apparaît extraordinairement difficile. Inédit car c’est jusqu’alors toujours l’exécutif qui dictait l’essentiel des arbitrages. Difficile du fait du contexte peut-être plus encore politique qu’économique.
Cela tient d’abord à l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. Celle, relative, obtenue en 2022 n’ayant pas été jugée suffisante par le chef de l’Etat, nous sommes depuis la dissolution de juin 2024 dans une situation de morcellement sans précédent. La description qui en est faite en trois ensembles ne traduit pas précisément la réalité, dans la mesure où le bloc central et la gauche sont traversés par des divisions d’approche et de fond de plus en plus évidentes.
Encore davantage, c’est l’ampleur de la dégradation des finances publiques révélée depuis l’an dernier qui continue de peser sur le débat. Un minimum de consensus sur le diagnostic de la situation paraît indispensable à une discussion sensée. Ce consensus n’existe pas, entre ceux qui estiment que les dépenses sont la cause majeure de la dégradation et ceux qui relèvent que les baisses de cotisations et d’impôts accélérées depuis 10 ans expliquent l’essentiel de la situation.
Le désaccord traduit par ailleurs une vision différente de la place des services publics dans l’ensemble de la société, et de la façon dont les biens communs essentiels qu’ils constituent doivent être financés. Parmi eux figurent au premier rang les piliers de la protection sociale : retraites, santé, chômage. Le niveau de protection collective financé par la solidarité nationale est mis en cause sous deux angles : les impôts et les cotisations collectés, systématiquement qualifiées de charges, seraient une ponction sur la richesse nationale et entravent la santé économique du pays. Il leur serait reproché la stagnation du « net » de la fiche de paye des travailleurs. Parallèlement, le système de protection sociale alimenterait une « société d’assistés » : chômeurs par choix, salariés en arrêt de travail de complaisance et patients consommateurs de soins irresponsables.
Pourtant, les effets probants sur la croissance et l’emploi de l’allègement des cotisations, en particulier sur les bas salaires, sont difficilement détectables. Dans le même temps, la « responsabilisation » des assurés sociaux a motivé quatre réformes successives très rapprochées de l’indemnisation du chômage et la multiplication des mesures augmentant le reste à charge en matière de santé. Celui-ci est insidieux, car il est transféré pour une bonne part sur les mutuelles complémentaires qui répercutent ces transferts par des hausses de cotisations des sociétaires. Il en résulte des inégalités qui se creusent, entre ceux assez bien couverts par des contrats collectifs et ceux qui doivent les supporter individuellement, avec une tarification croissante en fonction de l’âge. Inégalités sociales dont on sait le poids qu’elles représentent dans les écarts importants relevés entre les différentes populations par les indicateurs de santé publique.
La sécurité sociale fête cette année ses 80 ans et rentre elle-même dans le grand âge. Alors que la société française s’apprête à vivre un choc démographique lié à l’arrivée dans cette catégorie nouvelle des générations nombreuses nées dans l’immédiate après-guerre, ses principes fondateurs solidaires sont gravement fragilisés.
Les impasses du financement de nos secteurs d’activité sont de plus en plus marquantes. Le SYNCASS-CFDT continue pourtant, avec toute la CFDT, à revendiquer les principes de solidarité comme en témoigne le manifeste La protection sociale que nous voulons.
Le congrès du SYNCASS-CFDT les 20 et 21 novembre sera l’occasion de débats nourris à propos de ce fondement de notre pacte social et républicain. Nous rappellerons que la parole des professionnels doit être écoutée.
