L’inexplicable décision de dissolution de l’Assemblée nationale et le résultat inattendu des élections législatives ont débouché sur une période qui aura permis de tester la plasticité tant vantée de la Cinquième République. Pour autant, le garant des institutions ayant à la fois pris son temps et des décisions très personnelles, une sorte d’état gazeux s’est installé. Sans fait majoritaire incontestable et sans pratique concrète de l’exercice délicat de la coalition, la nomination d’un Premier ministre venant d’un parti dont le poids au Parlement est désormais marginal constitue une première à l’issue difficilement prévisible.
Disons seulement que l’alliance de la droite et du parti présidentiel, conséquence logique des élections législatives de 2022, se trouve consacrée en 2024 avec l’extrême droite en position de lui imposer ses thèmes. C’est dire le brio de « l’opération dissolution » et la portée de la « clarification » invoquée en motif, alors même que le résultat du second tour des législatives avait pour principal enjeu l’arrivée ou pas de l’extrême droite à Matignon.
Simultanément, et en continuité avec les premières annonces du printemps, l’horizon des finances publiques s’est encore obscurci avec des déficits publics massifs et un poids de la dette incontournable. Le vote du budget, autre prétexte invoqué de la dissolution, va se dérouler dans un contexte de déséquilibre très éloigné des engagements européens de la France.
Et pourtant, le sentiment d’appauvrissement de la sphère publique est sensible chez nos concitoyens : le dépérissement des services publics de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la justice et de pans entiers de l’offre de soins et de prise en charge médico-sociale est perçu de façon aigüe, nourrissant le sentiment du déclassement et du déclin. Le bien-être collectif et individuel est directement affecté, en raison de la relégation de larges parties du territoire et de groupes sociaux en dehors du contrat social républicain.
La France n’est pas la seule touchée. D’autres pays européens connaissent des tensions que la progression de l’audience de l’extrême droite ou de partis populistes met à nu. La France se singularise cependant par le rôle majeur que joue le service public dans la cohésion sociale, davantage qu’au travers de la part de richesse nationale qu’elle y consacre. « La crise de l’Etat-providence » de Pierre ROSANVALLON est un ouvrage qui date de 1981. C’est dire que la thématique vient de loin et s’est enracinée et accélérée, au rythme notamment des secousses économiques (la crise économique de 2008-2009), sociales (le mouvement des gilets jaunes) ou de la crise sanitaire.
Ces dernières années, la politique de l’offre menée au plan économique a été la boussole des pouvoirs publics : la politique économique, et plus encore fiscale, a consisté à restaurer les marges des entreprises, notamment par la maîtrise du « coût du travail », expression parlante des a priori idéologiques de ceux qui l’invoquent. Elle a consisté à maintenir une grande partie des salariés juste au-dessus du SMIC, zone dans laquelle les exonérations de cotisations se sont multipliées. Les choix fiscaux ont fait le pari que les entreprises et les ménages en capacité d’investir, favorisés par les baisses d’impôts, consacreraient leurs disponibilités à l’investissement productif. Le terme de ruissellement a résumé cette politique. Elle a été couplée avec un recyclage continu des recettes du « new public management » censé donner agilité, robustesse et sobriété aux services publics. Les choix opérés sur le financement de la protection sociale, systématiquement présenté comme une « charge », ont pesé sur la dégradation des comptes sociaux. Les réformes portées sur la retraite et l’assurance chômage ont d’abord et avant tout été justifiées par ces déséquilibres.
Les résultats de cette politique sont controversés sur le plan strictement économique, notamment quant à la qualité des emplois créés. Il n’en est pas de même sur le plan de la cohésion sociale. L’affaissement des biens collectifs nourrit la fragmentation du pays et trouve sa traduction tant dans des formes de communautarisme que dans l’imposition médiatique du thème de l’assistanat qui traduit d’abord la peur du déclassement. La politique sécuritaire, jamais suffisamment répressive, devient la réponse principale à ce délitement du corps social avec des risques tangibles sur les libertés publiques et une vision où la « fraude », par exemple sociale, rencontre plus d’échos que l’accès aux droits et le respect des personnes. La capacité à se projeter dans l’avenir et dans la réponse aux défis futurs, à commencer par le défi environnemental, est gravement entamée.
Dans ce contexte, l’action syndicale a un rôle primordial : rappeler les vertus de la construction collective des diagnostics et des solutions ; restaurer une hiérarchie des priorités et des politiques publiques tournées vers la cohésion sociale ; exiger la justice dans la répartition des contributions et des efforts de chacun. C’est le sens des messages que la CFDT a portés dès les premiers pas du gouvernement.
C’est aussi le sens des journées nationales que le SYNCASS-CFDT tiendra à Angers les 28 et 29 novembre. Nous voulons décortiquer la crise du lien social, ses impacts sur nos métiers et nos vies et aussi les réponses que nous sommes capables de construire dans notre champ professionnel. Nous vous attendons nombreux pour contribuer à cette réflexion !