État des lieux
Contrôle des ESSMS privés par les autorités : portée et impacts sur les acteurs de terrain

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Les EHPAD publics sont également concernés par les contrôles en cours, avec des points communs et des spécificités selon qu’ils sont autonomes ou rattachés à des établissements de santé.

Les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) évoluent dans un environnement institutionnel complexe, marqué par une diversité de fonctionnements et de types d’établissement. Cette pluralité offre une gamme étendue de services adaptés aux usagers, mais elle complique les coopérations institutionnelles et le dialogue de gestion, tant en interne entre organismes gestionnaires et établissements qu’en externe entre établissement et autorités de tutelle.

Suite à l’affaire ORPEA, les pouvoirs publics ont annoncé leur intention de mener des contrôles sur deux ans dans les 7 500 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ainsi que d’accroître la transparence financière dans la gestion de l’ensemble des établissements et ESSMS. Ces annonces, souvent relayées par la presse avec un focus sur des situations dramatiques isolées, ont contribué à une perception négative des ESSMS par l’opinion publique.

Il est important de rappeler que l’inspection et le contrôle dans le domaine des ESSMS relèvent du champ de la police administrative, réglementé par le Code de l’action sociale et des familles (CASF). De plus, la loi accorde un pouvoir de contrôle de police spécifique au préfet, lui permettant de diligenter un contrôle dans tous les ESSMS situés dans son département.

Des vagues de contrôles sur site ou sur pièces sont en cours sur l’ensemble du territoire. Certains d’entre eux peuvent être effectués de manière inopinée, soulignant ainsi la nécessité d’un travail d’anticipation auprès des équipes des établissements. Cependant, cela laisse également les directeurs de ces établissements dans une position de pression constante, susceptible de générer du stress et de la frustration.

En effet, ces derniers se sentent parfois dépassés par la charge de travail et les exigences croissantes des autorités de tutelle, de l’organisme gestionnaire et des familles des usagers. Ils peuvent également craindre des répercussions sur leur emploi en cas de mauvais résultats lors des contrôles, ou encore des pressions de la part de l’employeur pour minimiser les failles identifiées par les autorités de tutelle. Un dialogue ouvert et constructif serait essentiel pour identifier les besoins locaux, optimiser l’allocation des ressources, promouvoir l’innovation dans la prestation des services et assurer une coordination efficace des politiques de santé et de services sociaux.

Il est important de souligner que le scandale d’ORPEA et le déclenchement subséquent généralisé des inspections et contrôles des ESSMS, en particulier des EHPAD, surviennent dans un contexte marqué par une accentuation des fusions et rapprochements entre les groupes privés gestionnaires. Cette tendance découle de contraintes budgétaires de plus en plus prégnantes, qui rendent difficile la réalisation d’une prise en charge conforme aux normes et aux attentes de notre société.

L’encouragement au rapprochement et à la mutualisation des ressources entre les acteurs du secteur a été déployé dans le but de réaliser des économies d’échelle et de retrouver des marges de manœuvre budgétaires. Cependant, il est crucial de ne pas se limiter à des considérations strictement comptables dans ce processus. En effet, la recherche d’économies ne doit pas compromettre l’équilibre entre l’efficacité financière et la qualité des prestations, en veillant à ce que les besoins des usagers demeurent au centre des préoccupations.

Le manque de transparence financière et la dégradation de la prise en charge des usagers : deux arguments avancés par les autorités comme éléments déclencheurs des inspections et contrôles des ESSMS.

La quête d’équilibre financier et la volonté de réduire les coûts incitent souvent les gestionnaires d’ESSMS privés à industrialiser les processus de gestion, ce qui les éloigne parfois des réalités humaines du terrain. Un pilotage standardisé à distance peut compromettre la sécurité et le bien-être des usagers, mettant ainsi en péril la mission fondamentale des établissements : prodiguer des soins de qualité et un soutien attentif dans un accompagnement personnalisé pour chaque usager.

Cette standardisation de la gestion et de la prise des décisions, de plus en plus centralisée par les sièges sociaux, pose la question « du bon lieu » où réaliser les contrôles des autorités. Questionné à ce sujet par les sénateurs en mars 2022, Victor Castanet, auteur du livre enquête Les Fossoyeurs, doutait que le contrôle de tous les EHPAD de France soit la solution. Précisant que « ça fait des années que ces grands groupes ont tout centralisé », il préconisait qu’il fallait « […] surtout des gens formés et des gens qui contrôlent au bon endroit, notamment au siège ». Il est donc également essentiel de porter une attention particulière à la qualité professionnelle des contrôleurs. Ces derniers doivent répondre à des critères de compétence définis par un cahier des charges rigoureux, leur conférant ainsi une légitimité incontestable lors des inspections.

Il est impératif de repenser le système d’inspection et de contrôle des ESSMS pour le rendre plus respectueux des acteurs de terrain. Il est temps de mettre fin à cette situation de tension permanente pour permettre aux ESSMS de remplir pleinement leur mission au service des usagers. Le dialogue de gestion doit être remis au cœur de cette réflexion, afin de favoriser une relation de confiance et de collaboration entre les directeurs et les autorités.

Extraits de témoignages de directeurs d’établissement de type ESSMS ayant fait l’objet d’inspection et/ou de contrôle

Groupe privé lucratif

« Me concernant, l’inspection ARS s’est déroulée sous la forme de contrôle sur pièces et non en présentiel.

Je crois qu’il est important de préciser que mes rapports avec les organismes de tutelle sont plutôt bons, aussi bien avec l’agence régionale de santé (ARS) qu’avec le conseil départemental (CD).

ors de ce contrôle, nous étions en pleine construction du CPOM.

Mes interlocuteurs gestionnaires (CPOM) m’ont bien précisé que ce ne sont pas les mêmes départements qui effectuent ces inspections, pas de communication interservice.

Je me suis bien rendu compte du différentiel de communication… L’inspection était abrupte et sans interprétation possible.

Cette enquête ARS n’a pas été une plus-value sur mon établissement. À mon sens, l’orientation était plutôt que notre tutelle s’assure des aspects réglementaires sur mon établissement suite à l’affaire ORPEA.

Sur le fond, j’ai pris cette inspection comme un moyen de démontrer que nous réalisions une prise en charge qualitative et montrer “patte blanche” à notre organisme de tutelle.

Il est vrai que la pression s’est fixée sur le directeur d’établissement, avec une obligation de résultat, alors que certains points analysés sont plutôt à la main du central, sans levier d’action de la part du directeur.

Les réponses apportées à l’enquête étaient le fruit d’un consensus descendant. »

Groupe privé non lucratif

Voici le témoignage d’un directeur d’EHPAD suite à une inspection ARS en présentiel le 12 avril 2023.

« Des contrôleurs/inspecteurs “hors sol”, en déconnexion de la réalité de terrain illustrée par les remarques suivantes :

  • Il est stipulé dans le rapport que le médecin coordonnateur (MEDEC) ne remplit pas sa mission entièrement de coordination et qu’il est plus médecin prescripteur : le MEDEC est salarié à 0,40 ETP et prend en charge une vingtaine de résidents qui n’ont pas de médecin traitant, soit car ils viennent d’autres départements, soit parce que leur médecin a fait valoir ses droits à la retraite et n’a pas trouvé de repreneur. Je précise que sur l’année 2023, trois médecins ont pris leur retraite et n’ont pas eu de repreneur pour cette activité médicale et que sur la ville, nous sommes le seul EHPAD à employer un MEDEC.
  • La mission d’inspection relève qu’elle s’interroge sur le respect de la liberté d’aller et venir car j’ai fait asseoir une dame (atteinte de la maladie d’Alzheimer avec une déambulation pathologique toute la journée). Les inspecteurs, sans me demander la raison pour laquelle je lui proposais de se reposer, ont noté dans leur rapport : “Cette dame avait l’air très bien !”, ce qui laisserait supposer que j’empêcherais les résidents de circuler librement.
  • Un rapport à charge sur l’établissement, pourtant favorablement connu par les services de l’ARS suivant régulièrement l’EHPAD, et dans lequel, lors de cette inspection, la voix du directeur n’a pas été considérée. »