Évolution
Transformer le système et résorber les inégalités territoriales

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La réforme du financement de la psychiatrie en France, initiée en 2022, s’articule autour d’un objectif ambitieux : harmoniser la répartition des financements à l’échelle nationale et régionale pour plus d’équité.

Les régions historiquement mieux dotées (au regard d’une modélisation euros par habitant) se préparent à une croissance ralentie de leurs budgets annuels, laissant entrevoir un rééquilibrage en faveur des régions jusqu’alors sous-­financées. Cette dynamique vise à contrer les disparités territoriales persistantes en matière de santé mentale.

L’ancien système était basé sur une dotation annuelle de financement (DAF) croissante de manière prévisible mais très modeste, et globalement en déphasage avec les coûts réels d’exploitation. Il est crucial de souligner que, depuis une décennie, l’augmentation budgétaire pour la psychiatrie était inférieure, tant à la croissance générale des dépenses de santé fixées par l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) qu’aux coûts intrinsèques de la structure des charges, notamment la masse salariale. Ce déséquilibre a conduit à une érosion des marges budgétaires, pesé sur la politique RH et sur les investissements immobiliers.

En effet, ce régime de financement était différent entre les catégories d’établissement :

  • d’une part, les établissements publics de santé (EPS) et la majorité des établissements à but non lucratif étaient financés par le biais d’une enveloppe fermée : la dotation annuelle de financement (DAF), enveloppe fixe avec un taux d’évolution insuffisant, sauf post-COVID au regard de la demande importante en soins ;
  • d’autre part, les cliniques privées à but commercial et une minorité d’établissements à but non lucratif étaient financés par le biais de prix de journée, encadrés par un objectif quantifié national (OQN).

Fortement critiqué par la majorité des acteurs (fédérations, syndicats, établissements…), l’ancien modèle de financement est ainsi abandonné, car considéré comme inégalitaire, tant entre les établissements privés lucratifs et les autres qu’entre les régions. Le SYNCASS-CFDT a poussé à ces changements avec pragmatisme et vigilance.

La réforme introduit un modèle où l’activité des services de psychiatrie est désormais valorisée, s’inspirant des principes de la tarification à l’activité (T2A). Le budget se scinde désormais entre une part populationnelle – constituant la majorité du financement – basée sur des indicateurs sociodémographiques, et une part variable. Cette dernière, représentant 20 % du total, se répartit en reconnaissant non seulement l’ampleur de la file active, mais également les activités spécifiques des établissements, la qualité des soins, l’engagement dans la recherche, le développement de nouvelles pratiques, les transformations entreprises ainsi que la précision du codage PMSI.

L’impact de cette réforme sur les moyens des services de psychiatrie est encore controversé. Les simulations financières ont suscité des réactions contrastées au sein des hôpitaux, révélant une dichotomie entre les établissements qui anticipent une perte de financement et ceux qui tablent sur des ressources supplémentaires.

La réforme financière implique un impératif : une évaluation rigoureuse et continue pour assurer une transition juste, viable et propice à l’amélioration des soins dans chaque territoire.

La mise en œuvre de la réforme et les évolutions attendues

  • 1. La prise en compte de la qualité : cela indique que la qualité des services de psychiatrie est un critère important dans le modèle de financement.
  • 2. Des compartiments dédiés :
    – aux activités suprarégionales et aux nouvelles activités (6 %),
    – à la structuration de la recherche pour soutenir la transformation du secteur (5 % pour les nouvelles activités et 3 % pour la transformation, avec aucune part allouée à la structuration de la recherche en 2023).
    3. Un compartiment de financement pour valoriser l’activité des établissements :
    – incitant aux alternatives à l’hospitalisation temps plein, sans donner un pourcentage spécifique, ce qui suggère une approche flexible pour encourager des soins plus diversifiés et moins centrés sur les hospitalisations.
    4. Un compartiment de financement dédié à la réduction proactive des inégalités territoriales :
    – qui met en relation un besoin de santé et une enveloppe de financement, indiquant une attention particulière à la distribution équitable des ressources selon les besoins régionaux.

Les pourcentages indiqués reflètent la pondération des divers compartiments de financement dans le modèle global :

  • IFAQ + qualité du codage : 1,2 %,
  • activités spécifiques : 3 %,
  • transformation : 3 %,
  • nouvelles activités : 0,5 %,
  • dotation file active : environ 15 % en moins,
  • dotation populationnelle : environ 80 %.

Une proportion significative (80 %) du financement est basée sur la dotation populationnelle, ce qui conforte l’approche centrée sur la population pour la distribution des ressources, avec un ajustement (15 % en moins) pour la dotation file active, pour rémunérer l’activité réelle des établissements. À l’instar des activités MCO, ce compartiment valorise mieux les séjours de courte durée.

En dehors de la dotation populationnelle, les ARS interviennent directement sur trois enveloppes :

  • la dotation d’accompagnement à la transformation,
  • la dotation relative aux nouvelles activités, distribuées sur la base d’appels à projets (AAP) nationaux mais aussi, possiblement à partir de 2024, régionaux,
  • la dotation pour la structuration de la recherche, dont une instruction en date du 30 mars 2023 précise qu’elle est en principe distribuée sur la base d’appels à manifestation d’intérêt (AMI).

La première année de la réforme du financement de la psychiatrie, en 2022, a été marquée par une phase de transition centrée sur la stabilisation financière des établissements.

Dans le détail, la réforme a garanti la totalité des recettes des établissements basée sur le périmètre de l’année précédente, en y intégrant des ajustements pour des situations exceptionnelles liées aux ressources humaines et à l’inflation. Cela a été conçu pour protéger les institutions des fluctuations imprévisibles tout en mettant en place un nouveau modèle de financement, dit « à blanc », ciblant des initiatives novatrices non préalablement désignées.

En matière de répartition des fonds complémentaires, qui s’élèvent à 160 millions d’euros pour la composante C4 (dernière phase de la campagne 2022), la majorité, soit 120 millions d’euros, a été attribuée aux établissements publics.

Deux tiers de ces établissements ont bénéficié d’un surplus financier, avec une réception de 82 % des recettes additionnelles qu’ils auraient obtenues en absence de ce nouveau modèle de sécurisation financière. Intéressant à noter, les établissements qui auraient été désavantagés par les nouvelles modalités de financement n’ont pas subi de baisse de recettes, reflétant un effort pour éviter les pertes financières pendant la transition.

Le montant complémentaire, représentant 1,4 % du financement historique, souligne la modestie de l’ajustement, suggérant une approche prudente pour l’année initiale.

Pour les années à venir, de 2023 à 2025, la réforme prévoit de garantir la sécurité financière à tous les établissements, en ce qui concerne les dotations populationnelles et les dotations à la file active, avec la garantie de maintien du périmètre financier de l’année précédente (N-1). Cette mesure vise à assurer la continuité des services tout en préparant le terrain pour de futurs ajustements dans le modèle de financement.

Implications pour la gestion des établissements : les directions tentent d’ores et déjà de prendre en compte ces ajustements dans leur gestion financière. Mais tout dépend de la situation historique et des capacités d’investissement au moment du basculement. Si chacun est incité à optimiser la qualité et l’efficacité de ses services pour ajuster leur financement selon le nouveau modèle, beaucoup reconsidèrent complètement leurs stratégies à l’aune de ce modèle, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’organisation médicale et l’offre. À noter également l’importance de l’exhaustivité des données qui replace le département d’information médicale, le dossier patient informatisé et la cotation des activités au cœur des enjeux stratégiques de la discipline.

Dernières évolutions du déploiement

Cette mise en œuvre régionalisée doit donner lieu à d’intenses concertations auxquelles les établissements sont associés et doivent prendre toute leur place. Le SYNCASS-CFDT est à disposition pour travailler sur une vision nationale de ce dossier. En effet, l’organisation du dialogue à l’échelon régional permet une concertation large, dont découle une autre garantie de stabilité pour les établissements.

Grâce à un cadre sécurisé jusqu’en 2025, les établissements disposent de temps pour permettre une appropriation globale des impacts liés aux nouvelles modalités de financement. Les établissements ont également été à l’initiative de la révision des directives concernant l’allocation des compartiments régionaux, portant spécifiquement sur la définition des activités spécifiques régionales et la méthodologie de distribution de la dotation populationnelle au niveau infrarégional. Dans ce cadre, les directions ont plaidé pour la reconnaissance formelle du principe d’étanchéité. Par conséquent, les ARS ont été invitées à attribuer la dotation populationnelle de 2023 en s’appuyant sur les bases historiques, à l’exclusion des sécurisations et des mesures ciblées.

Pour les dernières précisions sur le périmètre et le cadre d’allocation des compartiments régionaux, voir l’instruction n° DGOS/R4/2024/35 du 5 avril 2024 relative aux compartiments régionaux du modèle de financement de la psychiatrie.

Cette réforme engendre une multitude de questions, notamment sur les répercussions financières pour chaque service des structures. Alors que certains établissements se préparent à ajuster leurs budgets en anticipant un afflux de fonds, d’autres craignent une diminution de leurs ressources.

L’équité prônée par la réforme s’articule autour de la dotation populationnelle, calculée à partir de critères socio-démographiques. Toutefois, le défi réside dans l’adaptation de cette allocation aux spécificités infrarégionales, notamment pour les départements plus démunis qui pourraient voir leurs besoins pondérés lourdement dans un contexte de financements déjà limités. Les ARS, secondées par des comités consultatifs, auront la délicate mission d’équilibrer ces disparités.

La part variable de l’activité, liée au volume des soins dispensés, soulève également des interrogations sur la modification potentielle des pratiques cliniques. En effet, le financement ambulatoire, par des forfaits dont les tarifs dégressifs favorisent les brèves interventions, pourrait inciter à privilégier des prises en charge moins intenses et plus courtes. Ce système paraît moins bien adapté aux aspects chroniques de la maladie mentale, nécessitant souvent des soins pluridisciplinaires prolongés. Cela pourrait accentuer une tendance à la baisse des traitements au long cours au profit de thérapies plus brèves.

La situation de la pédopsychiatrie se retrouve également exposée. L’enjeu majeur sera de préserver la qualité des soins dans un contexte où la spécialité est délaissée et où la vulnérabilité de la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes est croissante.

Les conséquences pour les jeunes adultes sont particulièrement préoccupantes, avec des questions lancinantes sur la continuité des soins après la majorité, dans un contexte où les structures médico-sociales font déjà face à une saturation. La réforme, bien qu’ambitieuse, suscite des craintes légitimes quant à son aptitude à combler les lacunes du système actuel, sans introduire de nouvelles failles. Elle s’inscrit par ailleurs dans un contexte de crise démographique, d’attractivité et de fidélisation des professionnels, dont l’incidence est par nature inéquitablement ressentie selon les territoires. Toute réforme nécessitant l’engagement des acteurs, le manque de ressources humaines disponibles est un obstacle, tant au maintien de l’offre de soins qu’à la bonne mise en œuvre des évolutions souhaitées.

Les syndicats ont plaidé pour une augmentation budgétaire générale afin de pallier les retards cumulés avant le basculement dans le nouveau dispositif, une requête restée sans écho. En guise de compromis, un moratoire est institué, promettant le maintien des budgets jusqu’en 2025, une décision qui tempère certaines inquiétudes immédiates mais ne dissipe pas l’appréhension sur le long terme.

Le SYNCASS-CFDT considère que la réforme était nécessaire. Pour autant, à l’instar de la T2A pour les disciplines de médecine, chirurgie et obstétrique, aucun modèle d’allocation des ressources ne peut être porteur de progrès si l’enveloppe globale dédiée à la discipline demeure insuffisante et décorrélée de l’évolution des charges et des besoins. Les enjeux se situent à ce titre dans la construction des futures lois de financement de la sécurité sociale.

Textes de référence