Prospective
Livre blanc du travail social, et après ?

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Adopté le 6 septembre par le Haut Conseil du travail social (HCTS), le livre blanc du travail social fait suite à la publication en 2022 du livre vert, qui se voulait un état des lieux permettant de « reconnaître le travail social comme pilier de l’État social et [de] s’appuyer sur le rôle essentiel des travailleurs sociaux dans l’accompagnement des personnes, des groupes, dans la prévention des risques, dans la régulation des tensions individuelles et collectives consécutives aux situations de crise ».

Le livre blanc a connu une remise laborieuse, initialement prévue à la Première ministre et à la ministre des Solidarités et des Familles le 26 septembre 2023. Il a été finalement remis le 5 décembre 2023 au ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et au ministre des Solidarités et des Familles, en présence du ministre de la Fonction publique, de la ministre déléguée en charge des Personnes âgées et handicapées et de la secrétaire d’État chargée de l’Enfance.

Le livre blanc se concentre sur les travailleurs sociaux titulaires d’un des treize diplômes d’État inscrits au Code de l’action sociale et des familles, ainsi que sur les intervenants sociaux (médiateurs sociaux et familiaux, animateurs, conseillers en insertion, intervenants de l’économie sociale et solidaire et de la politique de la ville…) qui concourent également à la mise en œuvre des politiques sociales.

La méthodologie se centre autour d’auditions, de travaux de groupes nationaux du HCTS, de la Commission éthique et déontologique du travail social et la réalisation de propositions écrites d’organisations membres du HCTS :

  • l’Association des départements de France (ADF),
  • l’Association nationale des assistants de service social (ANAS),
  • l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (UNCASS),
  • l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs (UNIOPSS),
  • la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS),
  • la Croix-Rouge française,
  • la CFDT,
  • la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE),
  • l’Association nationale des cadres de l’action sociale des départements (ANCASD),
  • France ESF,
  • l’Union syndicale solidaire (SUD),
  • l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS).

Focus sur les propositions de la CFDT

Les propositions formulées par la CFDT se concentrent sur les problématiques d’emploi et le manque d’attractivité systémique de la fonction publique territoriale. En effet, selon elle, « le statut de la fonction publique territoriale est largement dévoyé. En dehors des cadres d’emploi et des grades qui devraient être exclusifs dans ces filières, les collectivités territoriales s’arrogent, de plus en plus, de dérogations pour recruter les agents au service de ces publics.

À force de recruter en dehors du statut voire sans diplôme, y compris pour certaines professions réglementées, les employeurs territoriaux ont progressivement déqualifié le secteur et ses professionnels. Il y a donc un travail de fond à produire en regard de ces professions. Il s’agit des niveaux de diplômes en regard des missions qui leur sont confiées, et corrélativement de la même façon, au niveau des rémunérations correspondantes. »

Pour pallier cet écueil, les propositions de la CFDT Interco sont les suivantes :

  • Améliorer les conditions et la qualité du travail :
    – en accordant de la confiance aux professionnels de terrain, experts de la réalité du secteur ;
    – en affirmant les valeurs du travail social et les proclamer en offrant aux professionnels un cadre respectueux de ces valeurs ;
    – en fournissant aux travailleurs sociaux un cadre législatif sur lequel ils doivent prendre appui pour étayer leur professionnalisme ;
    – en imposant aux employeurs le respect de ce cadre et la mise en place d’un cadre commun d’accueil de tous les publics (taux d’encadrement par métier, temps minimum par public accompagné, comptabilisation de tous les temps de travail) ;
    – en adaptant le statut à la réalité des métiers et en harmonisant les conditions d’emploi ;
    – en permettant aux agents de se former, de se reconvertir, en mettant en place un fonds de reconversion professionnelle et des formations qualifiantes qui n’existent pas aujourd’hui pour ces agents.
  • Revoir les modalités de recrutement :
    – en instituant des concours sur titres dans la territoriale pour toutes ces filières ;
    – en réalisant un plan de résorption de l’emploi précaire en titularisant les diplômés ;
    – en créant des parcours diplômants allégés pour les « faisant fonction » ;
    – en accueillant les assistants familiaux dans le statut des contractuels de droit public.
  • Agir sur la rémunération :
    – en étendant le CTI ;
    – en permettant le passage en catégorie B de tous les agents auxiliaires de soin ;
    – en harmonisant les rémunérations dans l’ensemble des deux filières (soins et travail social).

Fort de ces propositions, le HCTS a défini dans ce livre blanc les quatorze recommandations suivantes :

  • valoriser les salaires ;
  • engager une concertation sur les ratios d’encadrement ;
  • réinterroger les modes de financement des structures sociales et médico-sociales, en revalorisant les temps nécessaires à l’accompagnement, en assouplissant la logique d’appel à projets ;
  • affirmer les fondamentaux du travail social adaptés aux défis d’aujourd’hui en allant vers des interventions collectives pour une action plus préventive et inclusive, favoriser le pouvoir d’agir des personnes accompagnées ;
  • faire évoluer la gouvernance des métiers et des compétences ;
  • recruter durablement ;
  • faire évoluer les organisations de travail par un encadrement différent (management participatif, espaces réflexifs professionnels, développer la fonction de conseiller technique…) ;
  • soutenir les parcours professionnels ;
  • consolider les parcours des étudiants et des stagiaires ;
  • distinguer l’accès au droit et l’accompagnement social ;
  • élaborer une stratégie globale de communication autour des métiers ;
  • tirer toutes les potentialités de la transition numérique ;
  • investir dans la transition écologique ;
  • renforcer la place du travail social dans le débat public.

Lors de la remise du livre blanc au gouvernement, l’exécutif a évoqué la mise en place de cycles de négociations annuelles dans la fonction publique entre employeurs et organisations syndicales, ainsi que des négociations pluriannuelles sur les grilles indiciaires. Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques a rappelé à cette occasion son souhait d’aller vers plus d’harmonisation des grilles entre les différentes fonctions publiques. À ce jour, ces cycles sont annoncés pour 2025.

Cette annonce d’une année blanche sur les salaires a d’ailleurs fait l’objet d’un mouvement de grève le 19 mars 2024, initié par l’intersyndicale CGT, FO, CFDT, CFE-CGC, FA-FP, FSU et UNSA.

Concernant les rémunérations dans le secteur privé non lucratif, le gouvernement s’est contenté de faire un appel aux partenaires sociaux chargés de la négociation de la convention collective unique et étendue dans la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale. Dans le champ de l’aide à domicile, les pistes sont soumises à un travail conjoint avec les départements, le gouvernement espérant des gains de rémunérations en lien avec la sortie d’une tarification à l’heure. Force est de constater que l’on atteint difficilement les ambitions affichées par le livre blanc de redonner du sens et un projet au travail social.

L’annonce d’une enveloppe de 200 millions d’euros dédiés chaque année à partir de 2024 aux revalorisations dans le secteur de la petite enfance demeure un signal encourageant, même si l’absence d’extension du CTI à l’ensemble des professionnels de ce secteur et de celui du handicap demeure un écueil en matière d’attractivité. La mise en place de la « solidarité à la source » devrait également favoriser l’accès à l’information et aux droits des usagers.

Enfin, la création d’un « institut national du travail social », afin de « dynamiser le secteur, développer une offre de formation structurée et une nouvelle architecture des diplômes, ainsi que le partage de pratiques innovantes », comme l’a annoncée Aurore Bergé, pourrait être à même de répondre aux ambitions de valorisation des métiers portées par le livre blanc.

Il n’en demeure pas moins que l’ensemble du secteur reste en attente de mesures fortes. Pour une offre suffisante et diversifiée, le SYNCASS-CFDT estime qu’il faut :

  • poursuivre les efforts d’adaptation du domicile, assurer la palette des services de soutien à domicile, soutenir l’innovation, et en particulier les initiatives d’habitat inclusif et alternatif ;
  • favoriser la qualité par la qualification et la formation des intervenants, ainsi que le financement et l’évaluation des dispositifs ;
  • étendre la revalorisation des métiers du soin, engagée par le « Ségur de la santé » à tous les métiers du « prendre soin » en établissement, à tous les champs d’intervention, et au domicile ;
  • promouvoir le soutien et le répit des aidants familiaux sur tout le territoire à l’aide de dispositifs bien identifiés et en nombre (plateforme de répit, hébergement temporaire…), dans un cadre législatif clarifié ;
  • prévoir un programme de création de places adapté à l’évolution démographique et des besoins ;
  • veiller, dans la définition des appels à projets et des procédures, à permettre des autorisations ne défavorisant pas les réponses de proximité et intégrant la dimension de l’habilitation à l’aide sociale à l’hébergement ;
  • développer les places de SSIAD personnes âgées ou handicapées (simples et renforcées), les équipes spécialisées Alzheimer (ESA), les SAMSAH et les accueils de jour, en prévoyant pour ces dernières structures des horaires élargis ;
  • favoriser le développement de modes de prise en charge innovants, tels que l’EHPAD hors les murs et le relayage ;
  • encourager, plus spécifiquement pour le secteur des personnes âgées, le recours à des pharmacies à usage intérieur pour les établissements et les GCSMS, en particulier par des collaborations sanitaires et médico-sociales ;
  • prendre en compte les besoins spécifiques peu ou très mal couverts : en matière de transports, y compris sanitaires, de soins bucco-dentaires, de télémédecine, d’hébergement temporaire, de prise en charge et de thérapies non médicamenteuses innovantes…

Livre blanc du travail social